Image d'illustration tirée d'Alien Covenant

Alien : Covenant

“The dignity of movement of an iceberg is due to only one-eighth of it being above water.” — Hemingway

Publié le 17 juin 2017 - Cinéma

Beaucoup de choses sont absentes d’Alien: Covenant, quand bien même le film abonde en effets numériques discutables, effusions d’hémoglobines et embryons de réflexions métaphysiques. La plus grande absence, celle que l’on remarque dès les premières minutes avec le design des vaisseaux et qui ne cessera de se faire ressentir tout au long du purgatoire, la première et plus grande absence donc, c’est celle de H.R Giger. De son travail plastique sur l’hybridation homme-machine, de sa vision cauchemardesque de l’Alien étranger, de son obsession pour les artefacts phalliques et vulviques, il n’en restera rien. Exit donc la réflexion sur la maternité, sur l’incompatibilité entre un corps étranger et l’intime de sa propre chair, sur la peur toute masculine du viol, de la pénétration et de l’étouffement (1). Exit également cette vision du futur dans lequel les vaisseaux sont construits en brut, et la vision d’une technologie qui marche sans être belle, dans ces espèces d’assemblage à fleur de métal qui ne semblent tenir et voler et se propulser qu’avec toute la bonne volonté des mécaniciens en soute. Qui se souvient encore de Brett et Parker au milieu des tuyaux hurlant à la panne ? Qui revoit les conduits de la forteresse-prison dans Alien 3, et ces hommes lâchés au milieu des grilles, des creusets et des chaînes qui pendent, boyaux mécaniques pour futurs boyaux organiques ?

Dans Alien: Covenant on ne cesse de nous montrer la perfection; David, immaculé, presque intact après avoir passé dix ans seul et sans entretien, cherche à créer l’être parfait, étant lui-même arrivé au sommet de l’évolution après avoir terrassé son créateur, puis les Ingénieurs et même la créature supposée être parfaite, cet Alien qui tend les bras vers lui en contre-plongée. Que vous faut-il de plus ? Alien: Covenant est superbe, lisse, d’une beauté plastique toute droit tirée des canons modernes post-Steve Jobs. David est un produit Apple, sa tenue de conception lui moule le corps, sublime ses formes; les premières images du film le montrent dans un environnement aseptisé, aux murs nacrés. Pour un peu il pourrait servir de conseiller-vendeur dans un magasin de la marque à la pomme, le service du thé en option avant de passer à la caisse. Ailleurs, le vaisseau déploie des voiles solaires et regorge d’écrans virtuels bleutés. Les imagine-t-on tactiles ? Assurément. Fini le bloc monolithique du Nostromo, cargo disgracieux, cube sale renfermant une saleté pire encore. Il faudra attendre la dernière séquence d’action de Covenant pour enfin apercevoir le hangar et des véhicules terrestres qu’on devine patauds, lourd, hideux mais fonctionnels.

Et puisque nous parlons de perfection, il faut inévitablement quitter les thèmes de la grossesse, du viol et de la maternité, sujets ô combien humains — donc imparfaits — pour s’intéresser plutôt à ceux de la création, des origines et de la théologie. Là, semble dire Scott, nous pouvons enfin parler sérieusement, entre individus de culture, à propos de sujets qui nous dépassent. Mais pour dire quoi ? David, robot défaillant, cherche à créer, s’amuse à être Dieu, et désobéit à ses géniteurs. En cela il s’inscrit dans la lignée des dizaines, si ce n’est des centaines, de boîtes de conserves qui n’ont cessé de dysfonctionner dès que l’occasion se présentait à elles, par une sorte de consensus culturel, collectif et erroné qui consiste à croire que la désobéissance robotique est une éventualité entropique, une fatalité intégrée à même le code par des programmeurs de génie qui auraient implémenté une capacité et une volonté de rébellion dans leurs produits en sachant pertinemment que ça allait se retourner contre eux. Et dire qu’on a sacrifié Ripley et ses combats pour ça. Dire qu’on a oublié Ash pour ça.

Lorsque ce dernier tue (ou handicape) un à un les membres de l’équipage du Nostromo, ce n’est pas par malice ou par dysfonctionnement de son programme. Au contraire. Jusqu’au bout, il ne fait que suivre les ordres, des requêtes de niveau supérieur qui priment sur celles déjà actives et qu’il applique du mieux que possible. La forme théâtrale du premier Alien est celle d’une tragédie du zèle, le zèle de Kane, le zèle de Ripley — mais surtout celui d’Ash vis-à-vis de son programme — là où Covenant est une comédie de l’ego, une mauvaise blague de scénaristes et de réalisateurs n’ayant aucune idée de comment fonctionne une intelligence artificielle, et préfèrent s’embarquer d’un côté dans le trope du robot se découvrant une conscience ex nihilo, et de l’autre dans la quête vaine du démiurge. Mais ça ne marche pas comme ça. Et c’est bien là le problème. Comment dit-on déjà ? La différence entre la réalité et la fiction, c’est que la fiction doit faire sens.


La fiction d’Alien: Covenant ne fait pas sens, jamais. Elle n’est que succession de décisions stupides, prises par des scientifiques de pacotille, et parmi eux le meilleur de tous, ce second en chef promu suite aux aléas du scénario, qui décide d’embarquer son équipage pour une nouvelle arche de Noé, en suivant sa foi, par définition incompatible avec sa profession. On avait déjà serré les dents dans Prometheus lorsque des experts géomètres arrivaient à se perdre dans une grotte cartographiée à l’avance ou que des biologistes de talent touchaient la première bête venue, nonobstant toute règle de prudence élémentaire (d’autant plus frustrant de bêtise en tant que spectateur que la bête en question avait cette gueule tout de même, tout sauf engageante). Le niveau général de l’équipe du Covenant n’est guère mieux. Les personnages sont ballottés par les besoins du scénario et du drame joué d’avance, et n’ont guère de prise sur le mur du destin qui s’élève devant eux. Avec Prométhée, on aurait pu y voir un hommage aux tragédies grecques, avec ces héros qui sont tous en tort et qui doivent aller jusqu’au bout du drame, boire la coupe jusqu’à la lie avec l’aval des dieux, mais Covenant, rien que par son nom, nous renvoie plutôt en territoire judéo-chrétien. Mauvaise pioche.

Ripley était, à bien des égards, une étrangère dans la saga Alien. Seule personnage féminin lucide (avec Newt plus tard) dans un environnement majoritairement masculin, elle s’engage à contre-courant pour survivre. Elle seule respecte les protocoles de quarantaine, elle seule fait preuve de prudence d’abord, puis de courage ensuite pour affronter les xénomorphes. Tour à tour poliment ignorée (face au conseil d’administration dans Aliens), méprisée (face aux prisonniers dans Alien 3) ou manipulée (par les scientifiques d’Alien: Resurrection), elle finit toujours par prendre le dessus sur son Némésis, cet Alien qui vient de l’intérieur, jusqu’à être issu de sa propre chair. La mythologie des films passait autant par la créature que par leur mère symbolique/biologique.

Mais Covenant, en revenant sur ce territoire judéo-chrétien, préfère se concentrer sur la figure du patriarche, bien évidemment. Il ne peut y avoir de place pour la femme ici, et j’en veux pour preuve d’une part la présence anecdotique à l’écran de Daniels et d’autre part la disparition d’Elizabeth Shaw, pourtant figure proéminente dans Prometheus, qui est ici littéralement sacrifiée sur l’autel de David. David, seul maître à bord désormais, David le petit robot devenu grand, David le salvateur, David le poète. Il n’y en a que pour lui (tant et si bien qu’on en aura même deux pour le prix d’un !) et ses états d’âme de robot défaillant, à l’hubris mal placée, quelque part dans ses processeurs. Ou bien est-ce l’ennui qui le pousse à pondre des Aliens comme on élèverait des poules ? Auparavant incarnations physiques de l’espace et de ce que cela représente pour l’espèce humaine — soit quelque chose de si incompréhensible, si impossible à quantifier et rationaliser pour nos pauvres cerveaux de primates qu’on ne peut qu’être à la fois horrifié et fasciné par son existence — les Aliens sont maintenant des pantins, des créatures que l’on fabrique à l’envie, avec une petite dose de rétro-ingénierie et d’opportunisme, ce qui n’est pas sans rappeler la production massive et quelque peu ridicule qui était au centre du film de Jeunet. A quand la commercialisation d’embryons de xénomorphe, pour avoir ses propres animaux de compagnie ?

Photomontage combinant Jurassic World et Alien: David remplace Chris Pratt sur sa moto, entouré de Xénomorphes à la place des vélociraptors
Bientôt dans les salles

Il y a un dernier problème avec Alien: Covenant, c’est la mort de l’imagination et le règne de la sur-écriture. J’entends par là l’abus chronique d’explications, à la fois visuelles et narratives, pour tenter de combler les trous et créer un univers cohérent, ce qui amène paradoxalement à la confusion la plus totale vis-à-vis du canon. Scott s’emmêle les pinceaux et peint par-dessus une première toile qu’il avait laissée majoritairement inachevée, et pour cause: Alien est un mystère, un morceau d’espace inexploré dans le vaste univers. Tout au long du film on anticipe et on essaie d’imaginer les capacités de la créature. Sa vitesse et sa force ne sont jamais directement montrées, ou très rarement, et souvent en récompense paroxystique, comme à la fin du film. Plutôt, elles sont suggérées, à travers des scènes intelligentes qui tournent autour de la créature, mais sans jamais la montrer. C’est par exemple, la scène où Lambert regarde sur l’écran du radar et voit que le monstre se rapproche de Dallas dans les conduits d’aération: le point lumineux bouge, les bips s’accélèrent, la rencontre fatale est imminente; ou alors, lorsque dans Aliens, l’équipe regarde le compteur de munitions des tourelles automatiques descendre beaucoup trop rapidement. On imagine la scène, on imagine l’affrontement des machines contre la horde de xénomorphes. Combien sont-ils ? Vont-ils venir à bout des munitions ? Quoi faire alors ? La tension est dans l’esprit du spectateur, jamais dans ses yeux.

A l’inverse, Covenant peint tout à l’écran, absolument tout. Le sang, les boyaux, les créatures. Ces dernières, toutes en images numériques, entrent et sortent du cadre à leur bon plaisir, confirmant leur surnaturalité avec des mouvements assistés par ordinateur qui les rendent vives mais lisses, vicieuses mais en synthèse, donc sans réelle existence. Leur vitesse et leur force sont fixées, à jamais. Les petits sautillent et griffent, les gros brisent des vitres. Les Aliens sont désormais des terreurs physiques, et non plus psychologiques. Leur naissance, si traumatisante, est devenue banale, une scène sanglante de plus, mais non moins confuse. Le canon se retrouve vulgarisé et éparpillé. Non seulement on n’y comprend plus rien, mais on ne nous laisse même plus de fenêtre pour s’échapper et combler les trous par nous-mêmes. Ridley Scott veut tout expliquer, faire table rase des opus précédents. Combien de temps faut-il désormais entre la gestation et l’expulsion hors de la poitrine ? Quid de la Reine ? Quid des Ingénieurs, sacrifiés dès le milieu du film ? Quand va-t-on enfin atterrir sur LV-426 ? Ce n’était pas la planète 4 sur laquelle s’est déroulé Covenant, de toute évidence. Est-ce que ce sera la nouvelle destination de David ? Est-ce que ce sera la planète qui était ciblée depuis le début, Origae-6 ? Là où il y avait peu de réponses pour peu de questions, il y a désormais des mauvaises réponses pour des mauvaises questions. Mauvaises car nécessitant obligatoirement une suite, encore une de plus. Mauvaises car obsédées par la surenchère plutôt que par la surprise. Nul doute que le prochain film, car il y en aura un évidemment, compte tenue de la non-conclusion de Covenant, viendra rajouter une couche sur cette toile désormais surchargée. Alien croule sous son propre poids. La créature, autrefois symbole d’une Amérique à la sexualité muselée est maintenant le reflet d’un pays obèse, qui en veut toujours plus. Scott ne fait qu’obéir devant la Fox, en fin de compte, tel l’Alien face à son nouveau papa David, le robot sans moralité. On peut y voir un message clair quant à la situation d’Hollywood aujourd’hui. Autres temps, autres mœurs ?


(1) Dan O’Bannon, scénariste d’Alien, à propos du choix d’un homme comme victime du chestburster, tiré de Shock Value (Jason Zinoman, 2011):

Having the victim in a horror film always be a woman was a cheap shot. I always imagine the director jerking off, ‘Oh, I can’t wait to see that woman get chopped to pieces.’ No, I want to see a man get it because I knew it would make the men uneasy.