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Animal Crossing: New Leaf

6 499 800 clochettes à rembourser, et moi, et moi, et moi...

Publié le 29 mars 2019, écrit le 21 février 2015 - Jeux vidéo

Main Theme - Manaka Kataoka, Atsuko Asahi

Si vous avez l'habitude de me lire, vous aurez sans doute remarqué que je n'aime pas beaucoup utiliser la première personne pour parler d'une œuvre. Je fais partie de ceux qui n'aiment pas parler d'eux quand il s'agit d'aborder une œuvre, car à mes yeux, c'est l’œuvre la pièce centrale, c'est elle l'objet à mettre sur le piédestal, sur le devant de la scène, et non pas celui qui écrit des mots dessus. Mon message, ce que j'ai à dire à propos d'un titre, ne passe pas par un déballage de ma vie et d'anecdotes personnelles autour du titre en question. Ce n'est tout simplement pas ma méthode, voilà tout. Aucun jugement envers ceux qui versent dans le journal intime à travers leurs critiques, chacun son style et ses manières. Ce n'est en tout cas pas les miennes.

Aussi, lorsqu'il s'agit d'aborder Animal Crossing : New Leaf, je me retrouve bien embêté. Peut-on raisonnablement parler du jeu sans jamais évoquer soi-même ? Peut-on écrire sur ce jeu sans jamais inclure quelques anecdotes personnelles et quelques histoires qui nous sont arrivées en jouant à trois heures du matin, penché sur la 3DS, à fuir une tarentule rencontrée au détour d'un arbre ? Ce jeu est l'épitomé de l'anecdote, de l'histoire personnelle, du récit à la première personne. Sans le « je », sans le moi qui parcourt le village en long et en large, sans le joueur et sa vie, différente de celle d'un autre joueur à côté de lui, il n'y a pas, il ne peut pas y avoir d'Animal Crossing : New Leaf. Jeu hautement personnel s'il en est, le dernier titre dans la saga de simulation animalière invite à raconter des histoires, à partager des souvenirs, à utiliser le pronom personnel. Il ne peut en être autrement dans une œuvre qui tourne exclusivement autour de vous, autour de moi. C'est là que l'oeuvre divise et rassemble à la fois.

Chacun aura ainsi une expérience différente vis-à-vis du jeu. On entend beaucoup parler de cette notion avec d'autres jeux, en disant notamment que tout le monde joue différemment, mais Animal Crossing : New Leaf est vraiment le titre qui symbolise le mieux cet aspect là du jeu vidéo. Tout, absolument tout, de la façon dont on va s'habiller, aux décisions prises envers la vie du village, en passant par l'agencement des meubles de la maison, tout renvoie ce message : il n'y a pas une mais des milliers de façon d'aborder Animal Crossing, autant de façons qu'il y a de joueurs.

Un peu comme les Sims mais en plus enfantin, vais-je entendre ici et là, irrémédiablement. Oui et non. Surtout non, pour être franc. D'abord, parce que là où on s'amuse à créer un ersatz de vie dans les Sims, une réalité alternative mais bien ancrée dans les règles du vrai monde, pour ce qui est d'Animal Crossing on s'investit dans un monde complètement fantasmé, imaginé, un monde qui est littéralement comme bon nous semble, au fur et à mesure qu'on le construit, selon nos désirs et nos motivations. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais pu joué plus de trois heures aux Sims, peu importe l'édition, alors que j'ai passé presque un an jour après jour, heures après heures, saisons après saisons à vagabonder dans mon village, à la recherche d'insectes, d'habitants ou de meubles. Les Sims sont des jeux qui pastichent, Animal Crossing est un jeu qui invente.

Capture d'écran du jeu

Par exemple, j'ai pour ma part inventé une sombre histoire de meurtre avec une de mes habitantes, une lapine aux yeux ronds comme des ballons. C'était tout à fait par hasard, en visitant le village d'une connaissance. Je rentre dans une maison, et j'aperçois posé sur une commode un accessoire. Des oreilles de lapin blanc. Pourquoi pas, après tout, ce n'est pas la chose la plus excentrique que présente le jeu. Je ressors, à peine intéressé par la décoration somme toute sommaire de l'habitant, et là, je tombe nez à nez avec cette lapine. Je fais le lien, ça met le feu aux poudres : en quelques secondes, je décidai que cette lapine, cette innocente lapine qui n'avait rien demandé à personne, était soudainement devenue une meurtrière qui avait sauvagement scalpé un autre lapin infortuné, et avait fait de ses oreilles un accessoire à porter sur la tête. Le mal était fait, je courrais désormais à perte d'haleine pour fuir cette criminelle.

Mais quelques jours ou quelques semaines plus tard, alors que j'avais tranquillement oublié cette anecdote, voilà que la lapine emménage chez moi. C'est le drame, me dis-je, elle vient finir le travail : elle sait que je sais, elle va me couper les oreilles aussi, c'en est fini de moi ! Et dire que je n'avais pas encore fini de rembourser le prêt de Tom, ce cher Tommy. Me harcèlerait-il aussi dans la tombe pour réclamer des sous posthumes ?

Finalement, elle s'avérera être une voisine très charmante, mais pour une raison que j'ignore, je n'entends plus grand-chose de ce que me racontent Méli et Mélo. Un problème d'audition, sans doute.

C'est une histoire parmi tant d'autres (peut-être un peu plus absurde, je le conçois).Animal Crossing nous invite à laisser parler notre imagination, à travers tout, avec tout, pour tout. La décoration de la maison, les relations envers les animaux, l'urbanisme du village, le développement macro-socio-économique, l'inflation du cours de la clochette, la philanthropie aiguë, la chasse et pêche compulsives jusqu'à exterminer des branches entières du vivant, tout ça pour quelques bourses sonnantes et trébuchantes, l'exil fiscal des tortues de mer, le marché noir de l'art, la récolte des champignons...A travers la multitude de choses à découvrir, à voir et à faire, le jeu répond à deux des besoins primaires de tout individu : en un, le besoin de posséder, et en deux, le besoin de se distraire.

Ici réside le cœur d'Animal Crossing. En proposant un monde malléable, modulable, rempli de choses aussi cocasses que variés mais sans jamais passer par la case « obligation », les deux besoins se rejoignent et se comblent sans même en avoir l'impression. Les heures passent, le printemps se succède à l'hiver, et on se retrouve à rechercher en ligne des motifs de vêtements et de textures pour faire des pavés au sol. Pourquoi ? Est-ce nécessaire ? Est-ce obligatoire ? Bien sûr que non : le jeu n'exigera jamais rien de nous. Absolument rien. Rien n'est requis, mais tout est là, à notre portée, si jamais l'envie soudaine nous prend de s'improviser botaniste croisé généticien occupé à croiser des fleurs, ou bien alors pêcheur de classe S, ou bien alors trafiquant de navets surveillant le cours du précieux légume. On peut tout faire si on veut. On peut aussi ne faire qu'une seule chose, en bon collectionneur obsessionnel, et faire dans la monomanie. Et puis le lendemain, changer radicalement d'activités. Pourquoi pas aller cueillir des champignons, tiens. Ou alors gueuler devant les prix exorbitants des collections de Carla. Je te jure, Carla, y a pas que ton cou qui est long, ton avarice aussi a une bonne longueur d'avance. Entre toi et Tom Nook, je ne sais pas qui a inspiré l'autre, mais vous faites la paire.

Capture d'écran du jeu

New Leaf, quatrième itération dans la série des Animal Crossing, est le plus varié de tous, ce qui veut dire qu'il est également le plus expressif. C'est une bonne et également une mauvaise chose. Il y a des dizaines et des dizaines de choses à faire et à découvrir, en prenant notre temps. La personnalisation des meubles, des vêtements et de la ville elle-même est plus poussée que jamais, ce qui nous permet de vraiment laisser libre cours à notre imagination. Non pas que les autres opus de la série n'étaient pas eux aussi au service de cette cause, mais forcément, avec moins d'outils, on fait moins de choses. Rétrospectivement, les autres titres paraissent plus restrictifs, moins riches, tant New Leaf ajoute de nombreuses fonctionnalités qui vont sembler indispensables désormais pour tous les Animal Crossing à venir. Ceci était la mauvaise chose, si jamais.

Les bâtiments publiques, par exemple. Je ne m'imagine pas être rien de moins que le maire dans le prochain jeu. On en est là, hélas. Revenir dans un village où je ne serais « que » le villageois lambda est inconcevable. Et ne plus pouvoir mettre de sculpture de chaussure immonde où je veux juste pour gâcher la vue d'un voisin depuis la fenêtre de sa maison ? Plutôt mourir !

Pour le coup, je suis vraiment curieux de voir quelle sera la prochaine étape de Nintendo après l'investiture en mairie. Peuvent-ils proposer quelque chose de plus expressif encore ? La question est en partie théorique. Aussi vaste et riche qu'est New Leaf, il y a encore et toujours quelques fonctionnalités qui n'existent toujours pas et qui ne demandent que ça. Pire, avec les nouvelles possibilités offertes dans l'opus, Nintendo n'a pas jugé bon de pousser les concepts jusqu'au bout. La vente de meubles dans la boutique de Reventes & Retouches, notamment. Pourquoi ne pas avoir permis d'acheter et de vendre des objets aux autres joueurs, plutôt que de limiter cela aux villageois ? Ce qui est par ailleurs à moitié fonctionnel car la plupart du temps il faut être présent dans la boutique pour espérer voir son meuble acheté par le villageois du coin.

C'est le cercle vicieux d'Animal Crossing. Plus le jeu en fait, et plus on en demande. L'imagination n'a pas de limites, voyez-vous, et le jeu qui en fait son fer de lance ne devrait pas en avoir non plus. Du moins, c'est ainsi que je me conçois la série. J'aurais aimé pouvoir visiter des villages d'inconnus, aussi. Les codes-amis ont toujours été d'un pénible depuis leur création, et dans cet opus ça ne fait pas exception. Nintendo et sa politique frileuse d'appréhension des étrangers continue d'exiger que les deux parties s'ajoutent mutuellement, ce qui est bien (on est dans un environnement à peu près sécurisé) mais aussi très limitant et limité. Heureusement, on peut toujours rêver les villages des joueurs du monde entier, mais l'interaction est minime, c'est ridicule. Il faut aller plus loin.

Parallèlement, certains décisions au niveau des personnages me laissent perplexes. J'accueille avec plaisir l'adorable Isabelle ainsi que le couple de lamas (ce sont des alpagas en fait, attention), mais voir Opélie et sa sœur être reléguée en arrière-boutique et devenir complètement anecdotique alors que leur histoire pour conquérir le cœur d'Antoine dans Wild World était à mourir de rire me serre un peu le cœur. De même, sacrifier un des deux policiers du binôme Maret et Chausset pour n'en garder qu'un seul au sein du village alors que c'est précisément quand ils sont tous les deux ensemble que la blague et le charme opèrent, c'est se tirer une balle dans le pied. Dernière anecdote, mais je trouve que Thibou a énormément perdu de charisme depuis qu'il ne s'amuse plus à nous déballer sa science à chaque fois qu'on lui apporte un nouveau don. Croyez-le ou non, rigolez ou non, mais j'ai énormément appris dans Wild World avec les monologues du gardien du musée à chaque poisson ou insecte apporté qui venait enrichir la collection. Maintenant, on a juste la même réponse préformatée, dommage.

Capture d'écran du jeu

Tout cela n'est que détails, bien évidemment, et n'empêche pas à Animal Crossing : New Leaf d'être une œuvre enchantée et enchanteresse qui, tout en renforçant l'identité de la série, un subtil mélange d'évasion, de choix et d'humour, apporte une certaine pérennité à cet univers peuplé d'animaux barrés et de clochettes par milliers. On sent qu'avec New Leaf Nintendo a trouvé l'équilibre, le dosage idéal pour plonger les joueurs dans un monde ni trop frustrant par manque de choix ni trop relâché en livrant les nouveaux venus à eux-mêmes comme c'était le cas dans les premiers opus de la série. New Leaf se veut plus accessible, moins contraignant, et c'est tout à son honneur. Les habitants sont moins extrêmes dans leurs réactions (fini la culpabilité après avoir oublié un anniversaire ou une visite, par exemple), mais ils ont su en même temps garder quelques répliques qui font mouche. Je rigole toujours autant aux blagues sur les poissons et les insectes, et j'en profite par ailleurs pour souligner le travail incroyable qui a été fait sur les traductions. C'est limites si les jeux de mots trouvés pour la version française sont plus amusants et parfois plus fins que ceux dans la version anglaise (quant à la japonaise, je ne peux pas comparer, malheureusement). Il y a eu un énorme processus de localisation, et c'est presque inclus dans le contrat Animal Crossing avec toutes les autres caractéristiques, mais il convient de le souligner à nouveau.

Assurément, New Leaf est un titre majeur de la 3DS, et je n'aurais loupé le rendez-vous pour rien au monde, en tant que fervent joueur de la série. Cela fait quelques mois à présent que j'ai totalement arrêté de visiter quotidiennement mon village car j'ai pour ma part rempli les objectifs que je m'étais fixé dans le jeu, mais quelque chose me dit que j'irai à nouveau faire un tour, un de ces quatre, par une journée pluvieuse sans connexion Internet. Là-bas, au milieu des arbres fruitiers, des habitants tous plus adorables les uns que les autres, dans ma maison en chantier avant la prochaine décoration planifiée selon un thème précis (ça sera le nouvel an chinois, j'en suis presque sûr), je sais que je serai à nouveau en terrain familier, un terrain qui sent bon l'évasion, le bonheur simple et la course aux clochettes. Capitalisme, quand tu nous tiens.