Image de couverture tirée de la jaquette du jeu

Mole Mania

Mole Mania remue la terre et les méninges, s’inscrivant dans une tradition de jeux presque perdue.

Publié le 8 novembre 2015 - Jeux Vidéo

Mole Mania - Taro Bando

En vérité il est assez difficile de parler de Mole Mania comme ça, de but en blanc, sans introduction, sans prise de recul. L’exercice ne lui rendrait pas honneur, car non content d’être dénué de tout propos intéressant sur le plan sociologique, humain, politique, culturel, psychologique, sexuel même — allons-y de notre petite touche nouvelle vague vidéoludique — il s’avère être la pire sorte de jeux pour nous modernes, entrés dans l’ère post-Gone Home, post-The Walking Dead, à savoir le vieux jeu sans histoire où tout est dans les puzzles, les doigts et les mécaniques, et rien n’est dans le cœur, les non-dits et les feels. Horreur !

Mole Mania ne parle de rien, ne touche du doigt aucun problème sociétal. Il s’agit d’être une taupe et de sauver sa femme et ses enfants. Le cliché est tenace, l’histoire en filigrane, le dénouement anecdotique. Il s’agit de déplacer des boules et des tonneaux sur une grille pour résoudre des puzzles. Si cela vous donne des boutons, vous pouvez arrêter la lecture ici. Il n’y aura jamais rien d’autre dans cette oeuvre que ce que je viens d’écrire dans la phrase précédente. Pour les autres, on peut continuer et commencer à gratter la surface de ce petit titre qui en cache plus que ce qu’on pourrait croire.

Mais avant d’aborder Mole Mania, il me faut tout d’abord vous parler de Moai-Kun et de Kickle Cubicle (Famicom et NES, 1990); de la série des Adventures of Lolo (NES, 1989), et de Goof Troop enfin (SNES, 1993). Le fil rouge entre tous ces jeux est le puzzle et, plus particulièrement, comment celui-ci occupe l’espace disponible, espace qui va progressivement se complexifier tout en se limitant à l’écran pour former des tableaux singuliers, finis et complets. Dans ce sous-genre très spécifique des jeux de puzzle, tout l’intérêt réside dans la gestion spatiale des éléments qui composent chaque tableau. Il s’agit de répertorier les différentes possibilités quant à la position des objets et d’anticiper les mouvements nécessaires, repérer les déplacements obligatoires et les séparer de ceux qui provoquent l’échec et la non-fin du puzzle, typiquement le moment fatal où on se retrouve bloqué, coincé par nos propres bêtises, et où on doit bien souvent recommencer le niveau depuis le début. Ce peut être une question de translation sur un plan comme dans le monde 2D tout en verticalité de Moai-Kun; ce peut être dans le cas de Kickle Cubicle une question de timing pour manipuler la position des objets et créer des nouvelles solutions, agrandir la surface de réflexion et de possibilités sur la glace; ça peut également être, comme pour Adventures of Lolo et Goof Troop la gestion des obstacles pour manipuler le comportement des ennemis et s’assurer un chemin sûr et direct vers la solution du tableau.

Capture d'écran du jeu Goof Troop sur NES
Goof Troop sur NES

Mole Mania s’inscrit à la suite de ces titres et pousse la formule jusqu’à sa prochaine étape logique. Là où nous avions des tableaux principalement en 2D consistant en une grille soit verticale, comme le jeu de Puissance 4, soit vue du dessus, un peu comme les échecs, notre taupe vient rajouter une nouvelle dimension dans la profondeur des galeries qu’elle peut créer pour naviguer sous le tableau, et ainsi modifier en conséquence l’espace disponible. Car qui dit galeries dit trous pour éventuellement y entrer et en sortir, liant les deux plans. Et ces trous, non contents de prendre de l’espace potentiellement utiles, peuvent se retourner contre vous lorsqu’il s’agit de devoir déplacer une boule d’un point A à un point B sans qu’elle ne tombe dedans. Ce n’est pas de la 3D, mais la nouvelle dimension du sous-sol fait qu’on se retrouve là avec un espace en 2D enrichi et interconnecté avec cette nouvelle couche, approfondissant littéralement les mécaniques du jeu.

Il s’agit dès lors de penser à l’envers et avec anticipation, pour essayer de tracer et simuler les chemins possibles, ceux qu’on peut éliminer dès le début en fonction de ce qu’on est capable de faire avec les différents éléments disponibles: certains se tirent et se poussent sans distinction, d’autres ne peuvent que se pousser. Les tonneaux permettent de remplir les trous, ce qui rajoute la case perdue en creusant à la surface en premier lieu mais peut bloquer les galeries en dessous et empêcher l’accès à cette dimension. Car Mole Mania ne fait pas dans la démonstration technique et la suggestion. Cette dimension souterraine est réellement, intelligemment pensée et utilisée, dans son absence et sa présence, entre chaque tonneau et chaque roche qui bloquent les accès.

Goof Troop, crée par Shinji Mikami (Resident Evil) possédait déjà des éléments de survie, notion qu’on retrouvera dans les autres jeux du game designer. Mole Mania est dans la même lignée avec le sien, Miyamoto. On reconnaît en effet sa philosophie de partir d’une idée simple — l’ajout d’une autre dimension en dessous de la grille habituelle — pour ensuite l’exploiter jusqu’au bout. Citons également la générosité du titre — trait récurrent dans les oeuvres de Miyamoto — qui propose une sauvegarde à chaque tableau, ainsi que de nombreuses zones et objets qui aident le joueur, que ce soit pour récupérer de la vie ou sauter un niveau trop difficile. Une générosité qui finira pourtant par disparaître mystérieusement vers la moitié du dernier monde, ce qui changera le ton du jeu et ajoutera une légère dimension frustrante de die-and-retry face à la toute dernière section du jeu et l’affrontement final, mais rien de grave.

Dans l’ensemble, le titre ne paie pas de mine. Les tableaux paraissent se suivre et se ressembler, la difficulté fluctue au gré des différents mondes. Y jouer maintenant donne l’impression d’avoir déjà vu tout ça, surtout si on a déjà joué aux titres cités plus haut; redondant dans la forme, il peine à donner une stimulation, quelque chose qui nous pousserait à continuer, mis à part l’émulation intellectuelle de résoudre les tableaux, désir acceptable et suffisant mais bien limité à une minorité de joueurs. Et pourtant, et pourtant, pour ceux-là, Mole Mania s’avère être toujours solide et d’actualité aujourd’hui. Il est un des nombreux chaînons (plus tout à fait) manquants dans la grande chaîne des purs jeux-de-puzzle-qui-tiennent-en-un-écran-à-chaque fois (un nom plutôt long, en vérité, pour un sous-genre devenu rare), et le finir m’a permis de coller quelques morceaux sur la fresque, pour passer de Goof Troop à Escape Goat (MagicalTimeBean, 2012). Une oeuvre à réserver tout de même aux “ludologues” purs et durs.