Image de couverture tirée de la jaquette du jeu

Phantasy Star

Phantasy Star est une étoile inaccessible désormais, mais son éclat nous parvient toujours.

Publié le 6 juin 2015 - Jeux Vidéo

Title - Tokuhiko Uwabo

Lorsque Phantasy Star est sorti en 1988, je n’étais pas né. Je n’étais peut-être même pas conçu dans l’esprit de mes parents. Il faudra attendre encore 5 ans de plus pour que je voie le jour.

Aujourd’hui, en 2015, j’ai terminé Phantasy Star pour la première fois, dans les conditions de l’époque. Est-ce qu’on peut encore jouer à ce jeu pour la première fois en 2015, 27 ans après, sans souvenirs, sans nostalgie, juste de la découverte pure ? J’aime penser que la réponse est oui, que tout jeu vidéo est appréciable et devrait être apprécié à n’importe quel moment dans le temps, sans bagage émotionnel tiré de l’enfance. Sinon, qu’est-ce que cela implique ? Est-ce que cela voudrait dire que les jeux sont des produits de leur époque et qu’il n’y a qu’une fenêtre de temps limité dans laquelle on peut correctement les apprécier, et qu’une fois celle-ci dépassée il n’est plus possible de redécouvrir ce qui est désormais passé ? Que les jeux sont finis et périssables ? Que sans la nostalgie qui vous rattache à l’oeuvre, telle une chaîne autour du pied, il est impossible en 2015 de finir et aimer un jeu comme Phantasy Star ? Ces perspectives m’effraient, et pourtant j’ai comme l’impression que ce n’est pas très loin de la vérité. En témoigne la propension des critiques déjà existantes sur ce jeu qui sont criblées de souvenirs d’enfance.

Je n’ai pas eu la chance de le découvrir à l’époque. Suis-je définitivement exclu de la partie ? J’ai bien peur que oui.

Parce que c’est un produit intrinsèquement relié à la technologie qui l’a façonné, le jeu vidéo, en particulier les tout premiers, souffre de l’avancée toujours plus fulgurante qui se fait dans l’industrie, plus que les autres médias. On peut encore ouvrir à l’aveugle un classique en littérature et apprécier la puissance des mots, la beauté du langage. On peut découvrir un film en noir et blanc et en apprécier la photographie, le cadrage, les dialogues. Il devient de plus en plus difficile de regarder en arrière dans le jeu vidéo si on n’a pas été familier avec l’époque en amont.

Phantasy Star est ingénieux et novateur. Pour son époque. Aujourd’hui, il ressemble plus à une vieille étoile lointaine qu’on respecte pour son éclat et ce que ça signifie dans notre univers, mais on ne l’aime pas vraiment. Comment pourrions-nous aimer, en 2015 et sans aucun souvenir pour venir altérer notre jugement, un jeu de 1988 qui nécessite des heures et des heures de farm intensif quand même les œuvres vidéoludiques modernes proposant cette activité ne sont plus tout à fait acceptables ?

Le problème, c’est que nous ne sommes plus des enfants, et que notre temps est devenu compté. On ne peut plus, et en ce qui me concerne je ne veux plus également, passer des heures devant l’écran et n’en retirer qu’une montée de niveau et un ticket pour acheter la prochaine arme qui me permettra de repartir de plus belle dans les plaines, à la recherche de créatures à occire à la chaîne, jusqu’à ce que mon niveau soit suffisant pour avancer dans l’aventure.

Phantasy Star est définitivement un jeu pour enfants. Pas par son propos ni son histoire, mais par sa construction. Il demande beaucoup trop de temps libre et d’implications de la part du joueur pour s’adresser à des individus autre que des enfants. Il demande d’acheter la première épée du jeu qui coûte 75 mesetas (la monnaie du jeu) en tuant des scorpions qui en laissent entre 3 et 8. Faites le calcul, et vous avez une idée de comment vont se dérouler vos dix prochaines minutes de jeu, en alternant la plaine et le retour en ville pour vous soigner après 2 ou 3 combats, voire 1 seul uniquement si vous n’avez pas de chance dans les rencontres. Et ce n’est que la première épée. Quand viendra le moment d’acheter la foreuse de glace, objet crucial sans lequel vous ne pourrez pas avancer dans le jeu, et débourser 12 000 mesetas, vous comprendrez pourquoi il est presque impossible d’apprécier Phantasy Star en 2015. Douze mille mesetas. Pas deux mille. Pas cinq mille. Douze mille.

Alors quoi ? Alors on essaie de revenir en terrain connu. Pour l’époque, pour de la Master System, le jeu est impressionnant. Il faut lui reconnaître ça. Les ennemis ont tous une animation d’attaque, les discussions avec les villageois se font en vue à la première personne, de même que les explorations de donjon qui utilise cette fausse 3D labyrinthique qu’on retrouvera ensuite dans d’autres titres par la suite. Avec un monde explorable dans son intégralité, différent thèmes selon les planètes et une ambiance science-fiction qui tranche avec le sacro-saint dogme du RPG old-school plongé dans le médiéval-fantastique, Phantasy Star étonne, pour son époque. Il étonne de la même manière que les peintures des grottes de Lascaux étonnent, ou que l’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat étonne.

Capture d'écran durant un combat sur le littoral

Dans la peau d’Alis, une jeune fille de 15 ans qui part venger son frère assassiné devant ses yeux, on découvre un univers prometteur qui sera, je n’en doute pas, plus riche et intéressant dans les opus suivants (que je compte faire du reste). C’est finalement un peu ça l’attrait des jeux qui ont tout commencé, à l’instar de Phantasy Star: ce n’est pas tant le jeu en lui-même qui est important mais toutes les implications et dérivations qui en découlent. Comment Phantasy Star a permis au genre du RPG de s’installer durablement et d’apporter un vent de fraîcheur avec ses voyages dans l’espace, ses pistolets laser et ses soldats Stormtrooper; comment il a implémenté des véhicules pour surmonter les difficultés du terrain, ou bien comment il a essayé de mettre l’accent sur un semblant d’histoire et de développement des personnages. Tout ça ne font pas qu’on finit par aimer le jeu, mais on le comprend, on le respecte pour ce qu’il a fait, 27 ans en arrière.

Pour l’aimer, il aurait fallu que le jeu change deux ou trois choses. Les combats en eux-mêmes, non content d’être légions, sont d’autant plus rallongés qu’il est impossible de cibler directement un ennemi. Résultat, on se prend des dégâts de la part d’adversaires qui n’auraient pas vu le nouveau tour si on avait pu les cibler et les éliminer au précédent. Quand il y a deux ennemis ça va, c’est quand il y en a quatre ou cinq que ça commence à sentir l’artificialité. Couplé au farming indécent, l’expérience n’est pas plaisante, pas après quelques heures.

Même si le jeu fait beaucoup d’effort pour essayer d’avoir une histoire et des personnages, on regrettera le fait que tout ça reste très superficiel. On va dire que c’est l’époque qui veut ça, mais j’aurais aimé en apprendre plus sur cet univers. Il faudra jouer aux autres jeux, je suppose. Alis, flamboyante dans son rôle de vengeresse, ne sera jamais approfondie en tant que personnages, de même que ses compagnons d’aventure, hélas. L’implémentation de quelques éléments de mythologie grecque dans le bestiaire n’est jamais expliquée, jusqu’au boss final, le vrai boss final, qui arrive comme un cheveu sur la soupe après une dizaine d’heures d’aventure durant lesquelles il n’a jamais été mentionné une seule fois.

Pour avoir la chance d’affronter cet ultime ennemi, il faudra avoir obtenu tous les objets essentiels et les meilleures armes et armures, et même avec ça le combat n’est pas gagné d’avance. Phantasy Star ne pardonne pas. Chaque rencontre est une épreuve, chaque pas dans le monde risque de déclencher un énième combat. Heureusement il est possible de se téléporter rapidement vers le centre de soins le plus proche, ce qui rend l’exploration du monde plus supportable. A travers des dialogues cryptiques mais toujours remplis d’informations à utiliser maintenant ou plus tard, l’aventure finit par devenir routinière. Les donjons se ressemblent tous plus ou moins, hormis la couleur des murs qui change de temps en temps, dans cette vue faussement 3D. Les mécanismes de progression sont classiques, ce qui est un peu bizarre à dire en parlant d’un jeu de 1988 qui a probablement contribué à rendre ces mécanismes classiques. Il s’agit souvent d’aller récupérer un objet qui en débloque un autre qui en débloque un autre. Entre chaque voyage, un peu de farm pour améliorer l’équipement au détour d’une boutique, et on répète le processus. Les aller-retours, d’abord d’un bord à l’autre d’une planète, finissent par se faire entre les trois planètes du système d’Algo. Il n’y a que la musique, bien que légèrement répétitive à la longue, pour nous sortir de la torpeur de l’oeuvre.

C’est aussi un peu ça, les classiques: on ne peut s’empêcher de somnoler de temps en temps, avant de brusquement relever la tête et dire “ah non, mais quand même, c’est un classique, c’est vraiment pas mal pour l’époque”. Ça fait partie de leur charme.