A propos de l'édition 2022 du Festival Photo à la Gacilly

Publié le 19 août 2022 dans les catégoriesblogsortiesà chaud

Créé en 2004, le Festival Photo La Gacilly propose une expérience photographique immersive et déambulatoire au cœur d’une trentaine de galeries à ciel ouvert présentant le meilleur de la création photo contemporaine qui interroge notre relation au monde et à la nature. - Extrait du site du festival

Les thèmes de l’édition 2022 étaient “Visions d’Orient” et “Le Monde de Demain 2022”. Pendant que je déambulais entre les clichés, j’ai écrit ces lignes, à chaud. Je n’ai rien modifié, je n’ai rien à dire de plus sur l’expérience que j’ai vécue au milieu de ce bourbier intellectuello-artistico-orientaliste:

Si tu n’as rien à dire sur les gens ou si tu ne leur permets pas de dire quelquechose, revenir à des paysages, faire semblant de faire parler la nature, qu’on imagine muette, retomber dans le terrain des lignes de fuite, des proportions, de la composition ô combien structurée, géométrique, du gigantisme versus la fourmiliation humaine, des thèmes éculés, depolitisés à l’excès

Montrer les conséquences, jamais les causes;
Le jet de dé, jamais la main,
Les ruines, le béton mort né, jamais le bureau où l’autorisation de détruire a été signée

Béton partout, personne nulle part
Nature partout, personne nulle part
On voudrait faire le parallèle, à tort. C’est caractéristique : du pareil au même, en dehors de soi, tout est semblable, seul le je est différent. Vanité anthropocentrée.

Alors que les gens déambulent au milieu des clichés, des ouvriers en bâtiment construisent une terrasse de l’autre côté de l’exposition, modifie le terrain, bétonnise l’espace. Pas de photographe pour immortaliser leur labeur, pas de regards artistiques sur leur transformation sous un soleil de plomb.

C’est normal. À travers les photos du bout du monde, c’est pas tant qu’on pleure ce qu’on imagine être un lieu éternellement épargné être scarifié, c’est surtout qu’on se réjouit qu’ils aient enfin rejoint le futur, et pas n’importe lequel: le nôtre, l’imaginaire SF et le contemporain urbaniste et le progrès social. Autant d’imposition, de surimposition. Les photos sont à l’image de ces inspecteurs des travaux finis qui viennent vérifier que tout a été bien fait selon les directives, pour envoyer les preuves aux patrons. L’Occident veille au grain, elle construit mais elle détruit, elle signe et contresigne là bas, ailleurs, partout. Et elle expose chez elle les fruits de son règne, capturés par ses sbires, estampillés AFP [Agence France Presse], RSF [Reporters Sans Frontières], primés aux festivals.

Normalement le voyeurisme s’exerce sur ce qui ne nous appartient pas, ce qu’on voit à la dérobée, il y a un sentiment d’interdit, ou en tout cas de privilège opportuniste. L’Occident, chez soi partout, s’auto-mate, et la frontière entre voyeurisme et narcissisme est franchie. Le regard se veut tourné vers l’extérieur, il ne cesse de contempler son nombril. À Kaboul comme à New York.

Photo de couverture : Rêveries trompeuses, par Ebrahim Noroozi