Dust: An Elysian Tail
Publié le 2 mai 2015 dans les catégoriestextescritiquejv
Ce texte a été écrit il y a quelques années déjà. Il n'est peut-être plus représentatif de ce que je pense ou de ce que j'écris aujourd'hui, mais je le laisse publié à titre d'archive.
Ça commence tout d’abord par le squelette du jeu, son ADN immuable, tiré d’un autre siècle, ces règles tacites qui le définissent et dont il ne s’écartera jamais, ô grand jamais, jusqu’au dénouement final; on invoque les grands noms à nouveau, encore et encore, telle une litanie qui n’en finit pas de résonner dans le royaume fermé du jeu vidéo, un royaume qui passe son temps à se regarder dans le miroir. On parle de Metroidvania, pour changer, et plus particulièrement de Symphony of the Night. On évoque les esprits des indépendants le temps de quelques cages, autant d’hommages et de clins d’oeil pour auto-alimenter le milieu et avoir la tape dans le dos, tout ça pour décrocher un sourire, celui du fidèle, celui de l’initié qui sait, lui, qui est ce cube de viande rouge, ou bien ce garçon au marteau.
Ça continue ensuite avec le défilement incessant d’invités.
Dans les murs, de mystérieux poulets se cachent. Le marchand emprunte à un collègue de Resident Evil 4 une de ses formules. Les avalanches font remonter les souvenirs de l’Ice Forest. Fidget est aussi agaçante et insupportable que Navi. A un moment dans le jeu, on nous attribue une quête appelée “C-C-C-COMBO BREAKER”.
Combien d’éléments va-t-il falloir encore lister, découvrir et endurer pour en arriver à la conclusion que Dust: An Elysian Tail est simplement un méli-mélo de tout ce qui s’est fait dans le jeu vidéo depuis trente ans ? Combien de références et de clins d’oeil appuyés va-t-il falloir encore passer pour finalement mettre la main sur quelque chose d’unique dans ce jeu, quelque chose propre à lui ?
Avec Dust: An Elysian Tail, j’en arrive presque à croire que les joueurs, au fond, n’ont qu’une seule envie: jouer aux mêmes jeux, année après année, décennie après décennie, jusqu’à la fin de leur vie. Avec les mêmes mécaniques, la même progression, les mêmes histoires, les mêmes qualités mais également les mêmes défauts. C’est une perspective qui me terrifie, personnellement, pire que Sisyphe poussant son rocher.
Ça aurait pu être pire, entre nous. On aurait pu avoir droit à l’esthétique pseudo-rétro 8/16 bits qui fait tant de victimes de nos jours dans le monde indépendant. A la place, Dean Dodrill nous présente un univers à mi-chemin entre de l’animation japonaise, l’âge d’or de Disney et le charme candide des œuvres de Don Bluth. Lui-même animateur de profession, Dean a mis tout son cœur et tout son talent dans son jeu, et ça se voit. Si il n’y avait qu’une chose à retenir de Dust: AET, ce serait la finesse et la qualité esthétique de son univers, et la fraîcheur qu’il dégage au milieu des bouillies de pixel qu’on nous sert parfois au menu. Ici, point de rétro, mais plutôt une invitation à explorer un dessin animé comme si on y était. Les cerfs, biches et autres lapins qui gambadent ici et là dans une forêt sereine rappellent Bambi; l’anthropomorphisme des différents personnages qui peuplent le monde de Dust font remonter des souvenirs de Mrs. Brisby, Fievel Mousekewitz et les autres. Certains parleront de tendance furry, et toujours de manière dépréciative, mais il serait réducteur de s’en tenir là. A ceux-là, qui ont passé trop de temps sur Internet dans des coins douteux, nous leur disons: retournez en enfance, regardez à nouveau le Robin des Bois de Disney et les Animaux du Bois de Quat’Sous.
Néanmoins, il est étrange d’observer la dichotomie entre l’univers présenté, très familial, très orienté pour les enfants et ce qu’on y fait dedans, à savoir découper des monstres à la chaîne. C’est même assez perturbant de passer d’un moment de tranquilité au sein du village principal à de l’action non-stop dehors. Et finalement, c’est lorsqu’on aborde le jeu en lui-même que les sensations disparaissent et se fondent dans la masse, malgré la tentative de l’univers graphique pour élever le tout.
Dust: An Elysian Tail est un mélange de beaucoup trop de choses pour tenir tout seul sur ses propres jambes. C’est du metroidvania, saupoudré de beat’em all, auxquels on ajoute du hack’n’slash, un petit peu de platformer, un zeste de RPG et pour finir, une histoire générique. C’est la tentative — admirable et louable, entendons-nous bien — d’un seul homme de créer son jeu à lui, avec les ingrédients qui ont bercé son enfance. Ce ne sera pas le premier, ni le dernier à le faire. Le problème est qu’à force de toucher à tout, on finit par n’exceller dans rien. Pire, les différentes inspirations se superposent et s’annulent les unes les autres pour donner naissance à des comportements contradictoires et pénibles.
Ainsi, le système d’expérience du jeu fonctionne sur le combo: plus vous effectuez de coups sans interruption, et plus le bonus d’expérience à la fin est grand. Seulement voilà, au fil de l’aventure on finit inexorablement par trouver de l’équipement qui améliore notre attaque, ce qui signifie que le nombre de coups pour achever un ennemi diminue, et avec lui les possibilités d’augmenter le compteur à combo. Que faire alors ?
Autre exemple, le jeu intègre un système de crafting, avec des matériaux, mais aucun d’entre eux n’est rare ou unique, ce qui aurait demandé de faire des choix sur la façon de les utiliser. A l’inverse, il suffit de les vendre une fois à un marchand pour que tous les autres sur la carte entière, propose à la vente les nouveaux éléments, enlevant ainsi l’aspect potentiellement stratégique du crafting.
Le jeu récupère beaucoup trop de lieux communs issus de l’héritage vidéoludique et ne sait pas trop quoi en faire si ce n’est les intégrer dans un gloubi-boulga de genres. Double saut, roulade, parade, combo, level up, platforming, walljump…tout est beau, mais qu’est-ce que cela dessert, finalement ? Si on compare avec un autre metroidvania, au hasard Aquaria, les différentes capacités de Naija s’expliquaient au fil de ses transformations: en tant que bête, elle pouvait faire un dash qui détruisait tout sur son passage en utilisant ses griffes; en poisson minuscule elle était considérablement plus rapide mais ne pouvait plus combattre, en toute logique; enfin, le crafting pour la cuisine avait du sens car certains ingrédients étaient disponibles en quantité limité dans le jeu et c’était au joueur de faire les choix sur les recettes à cuisiner, car il n’y en aurait pas assez pour tout faire.
Dust: AET n’a rien de tout ça. Les choses existent parce qu’elles sont presque inhérentes à un jeu vidéo, mais c’est tout, ça ne va pas plus loin que cela.
Cette dernière phrase pourrait résumer le jeu dans son ensemble. Ça ne va pas plus loin que cela. L’histoire, les dialogues, les situations, les retournements scénaristiques, tout ça ne va plus loin que cela. Dust, guerrier amnésique solitaire, armée d’une épée mentor qui sait tout et d’un partenaire comique, part à la recherche de son passé et fait le bien autour de lui. Ça ne va pas plus loin que cela. Face à lui, un antagoniste qu’on ne verra pas avant longtemps dans le jeu et qui ne sera jamais affronté hormis à la fin. Ça ne va pas plus loin que cela. Les boss et les hordes d’ennemis s’enchaînent le long de trois pressions sur X. Ça ne va pas plus loin que cela.
Le jeu est riche en contenus. Dean Dodrill a le cœur sur la main, on le sent, c’est irréfutable. Il a passé des heures et des heures à polir son monde, à le remplir avec des dizaines de coffres à trésors, à soigner l’animation lors des dialogues, pour créer son aventure, son jeu. En cela, j’ai beaucoup de respect pour son travail, je le répète; c’est quelque chose de fantastique d’avoir pu concrétiser son rêve de développer quelque chose d’aussi grand que Dust: AET. Mais pour moi, ça ne va pas plus loin que ça: le jeu reste et restera un monstre de Frankenstein composé de beaucoup trop d’éléments vus et revus. Le cœur a beau être gros, les organes restants ont trente ans d’âge. Si c’était du vin, je ne dirais pas non. Mais on parle jeu vidéo, et on ne peut pas, on ne devrait pas se permettre, dans un medium si jeune, de recycler déjà à ce point les acquis du passé.