Probability 0
Publié le 5 novembre 2015 dans les catégoriestextescritiquejv
Ce texte a été écrit il y a quelques années déjà. Il n'est peut-être plus représentatif de ce que je pense ou de ce que j'écris aujourd'hui, mais je le laisse publié à titre d'archive.
Il y en a qui n’ont de cesse de se montrer partout, et d’occuper continuellement le devant de la scène, pour des raisons plus ou moins justifiés. Certaines têtes de poisson font des crises d’adolescents et annulent des projets; d’autres, plus en poils et en tatouages sont proclamés papes de l’indé, après avoir marqué d’un fer rouge sang le genre de la plateforme; et puis il y a Droqen.
De Droqen, ou Alex Martin dans la vraie vie véritable, vous ne connaissez sans doute pas grand-chose, et pour cause le bonhomme est relativement discret. Quelques petits jeux ici et là, Probability 0, ou zéro, et Starseed Pilgrim, qui reste à ce jour son plus grand “petit” succès. Le bougre ne fait pas de scandales, tient un petit blog, un twitter. Mais pas de violence, c’est les vacances. Droqen prend son temps, avance tranquillement, à l’ombre des pixels en fleur.
Dans Probability 0, ou zéro, l’univers ne tient à pas grand chose, dans le fond comme dans la forme.
Pour le fond, il y a quatre couleurs. Du noir, tout d’abord, beaucoup de noir, celui qui vous colle à la peau, celui des ennemis et des structures. Celui de l’écran de fin qui apparaît, inéluctable; du vert, ensuite, celui de ce puits infini et interminable qui ne cesse de descendre, vers où ? vers quoi ? nul ne le sait; du rouge, partout, celui du danger permanent qui rôde autour de vous, celui de vos yeux quand les probabilités de survie sont quasiment à 0, ou zéro; du blanc enfin, celui de l’espoir à travers le défilement hypnotisant des nombres en filigrane au centre de l’écran, celui des étoiles qui vous ouvrent des passages et vous procurent un court moment de répit. Celui de vos yeux, enfin, lueurs hagardes brillant dans l’obscurité, dans les profondeurs aléatoires.
Pour la forme, il y a deux états: vivant ou mort.
Vivant, les probabilités s’affolent, le compteur varie, fluctue au gré de vos déplacements, de vos chutes, de vos blessures. Mort, il ne vous reste plus que cette frustration, ce désespoir sourd au fond de vous, celui d’avoir presque réussi à battre le highscore, à aller plus loin, juste un tout petit peu plus loin. L’essence même de l’arcade et du jeu vidéo, en somme. Car si on devait introduire Probability 0, ou zéro, en un mot, ce serait tout d’abord arcade.
Comme je suis gentil, j’en rajoute trois autres: arcade platformer rogue-like survival. Comme des dés, mélangez-lez, secouez-les et lancez-les sur la table, et peu importe comment vous retournerez la chose, ce sera toujours le même résultat, un résultat fatidique: 0, zéro, une probabilité de zéro.
D’abord les chances seront grandes, les possibilités infinies.
Sauter, tomber, trouver le bon chemin, éliminer les ennemis, accumuler du pouvoir pour devenir plus fort au fil de la descente. Faire attention aux chutes de trop haut, surveiller les pièges, les ennemis explosifs. Toujours regarder ce compteur qui tourne en boucle, qui n’arrive pas à se fixer sur un nombre, sur quelque chose. Sa longueur rassure, mais sa présence irrite. Oh trois fois rien, juste une aiguille qui vous rappelle que la fin existe, tout simplement. Plus le temps passe, et plus le sentiment d’oppression augmente, tandis que les probabilités, elles, diminuent, inexorablement. Quelles probabilités au juste ? Tout défile trop vite pour vraiment saisir quoi que ce soit. Dans un moment d’inattention, on peut lire des messages cryptiques comme “chance que vous revoyiez votre famille un jour” ou bien “possibilités d’atteindre quelque chose d’intéressant”. Et ce nombre qui n’en finit pas de fluctuer, de se réduire en peau de chagrin. L’environnement est plus dense, les ennemis plus nombreux. La stratégie se corse, les erreurs s’accumulent, les milliers de chances deviennent des centaines, puis des dizaines. La musique, superbe, prenante, adaptée, s’intensifie, la fin est proche. Il faut lutter, cependant. Pour quoi faire, se demande-t-on dans un coin de la tête ? Déjà un boss se profile dans les profondeurs. Ainsi, ce sera par sa main que je mourrai cette fois-ci. A charge de revanche.
Probability 0 est un jeu déprimant et nihiliste.
C’est peut-être le meilleur survival, et en même temps le pire, car vous aurez beau faire de votre mieux, vous échouerez. Toujours. C’est dans le titre. A partir de ce principe, il ne vous reste plus qu’à plonger, encore et encore, dans ce puits sans fond. Le fond, ce sera votre corps tombé sous les coups des probabilités.
Probabilité de réussir: 0
Plaisir de recommencer: infini.