Image de couverture tirée de l'écran-titre du jeu

Sandstorm

Le désert aride de Sandstorm vaut bien une heure de peine.

Publié le 2 décembre 2016 - Jeux Vidéo

Il est impossible de parler de Sandstorm sans évoquer Journey, le mirifique Journey, l’incontournable Journey. Ce dernier fera — éventuellement — l’objet de son propre texte dans un futur proche, et ce même si j’ai peu envie d’aborder l’oeuvre, tant tout a été dit dessus — et en même temps trop peu pour que j’y trouve mon compte. Parallèlement, ce que je souhaiterais aborder est précisément ce qui manque dans tous le consensus critique, et il va falloir dès lors endosser le rôle du dissident, de l’empêcheur-de-tourner-en-rond, et je ne suis certainement pas pressé d’en arriver là.

En attendant ce jour funeste, disons simplement ceci: Journey poétise le désert et le fantasme pour créer de l’émotion — à la limite de l’artificialité, là où Sandstorm le cristallise avec une vraie démonstration ludique, sans concession ni œillade lancée vers l’enamouré(e) de la contemplation. En cela je préfère la proposition de Daniel Linssen, plus brute, plus aride si on peut dire.

Il y a au cœur de ce désert-là une prémisse évidente, et qui se répète d’un jeu à l’autre au fil de la collection du développeur australien: l’absence de moyens exige l’ingéniosité plus qu’elle ne la contraint. Se restreindre à une palette de 4 couleurs est une libération pour la création: il n’y a de toute façon pas suffisamment de place ni de temps à consacrer aux détails qui cachent l’ensemble. Cette forêt-là se taille dans le brut, sans s’attarder sur les arbres qui la cachent. On touche du doigt un problème récurrent pour ceux qui veulent créer: malgré le matériel de pointe, malgré les options par milliers, les voilà incapables de produire quoi que ce soit tant ils sont attachés à perfectionner la première tâche sorti de leur esprit brumeux, et tant pis si ce n’était finalement qu’une éclaboussure sur la feuille, destinée à être effacée à la relecture. Il faut que cette première production soit déjà parfaite. C’est oublier de prendre du recul et considérer l’acte dans son ensemble. Au contraire, en retirant toute possibilité pour toujours faire mieux, toujours faire plus, on ne peut qu’être condamné à faire, et faire seulement.

Je pense qu’on s’approche d’une des raisons pour lesquelles tant de développeurs s’intéressent à la GameBoy en tant que modèle d’inspiration et d’architecture. Oh, il y a de la nostalgie pour l’esthétique du pixel et du sprite, évidemment, et également un manque certain de budget et de connaissances techniques. Mais il y a surtout un désir de faire, de bricoler des choses, avec ses mains, et de les faire maintenant, avec le meilleur de ce qu’ils ont; or, quand ce meilleur se trouve être 4 couleurs et 8-bit, la marge d’erreur et de tâtonnement s’en trouve d’autant plus réduit.

Capture d'écran du jeu durant la deuxième journée de voyage

C’est que le minimalisme s’inspirant des jeux d’antan ne pardonne ni faute de forme, ni manque de fond. On ne peut pas cacher des textures baveuses derrière des filtres ou des effets de lumière. On peut encore moins masquer l’absence de mécaniques solides derrière des couches de concepts phagocytaires ou des distractions chronophages. A défaut d’être profonds — encore faudra-t-il définir cette notion — les jeux sur GameBoy étaient des exemples de plaisir immédiat: en moins de quinze minutes on savait si ils nous plaisaient ou si ils ne nous plaisaient pas. Impossible de cacher la vacuité du propos ludique derrière une cinématique de vingt minutes ou une séquence d’apprentissage faisant miroiter des dizaines de techniques de combat quand dans les faits une ou deux suffisent pour finir le titre.

Sandstorm n’est pas un jeu profond, ni poétique, ni même avenant, mais c’est un jeu immédiat dans son propos. L’écran-titre parle d’un pèlerinage vers une montagne, vers l’Est. Entre vous et cette destination se tient un désert, infini, monochrome, vertigineux. Il tourne et tourne encore, sans arrêt; les points cardinaux ne sont jamais fixes, et les vents brouillent les pistes, effaçant vos pas à mesure que vous avancez dans le sable. Un simple médaillon en forme de serpent vous permet de localiser votre chameau qui a réussi à se libérer de son attache, mystérieusement. Le retrouver est une question de vie — ou de recommencement.

Ce désert-là ne suscite aucune sympathie. Il est simplement le catalyseur d’une angoisse qui ne cesse de monter au fil des jours, alors que les médaillons s’égarent dans les dunes et que le chameau s’acharne à disparaître de l’horizon. La simplicité des mécaniques trahit un souci de la cohérence ludique de l’ensemble. Perdez le compas, et vous ne savez plus dans quelle direction vous allez; perdez le médaillon-serpent, et vous naviguez à l’aveugle pour tenter de retrouver votre animal; perdez la roue dentée, et vous ne pouvez plus jauger de la course du soleil, et par extension du temps qu’il vous reste avant de rebrousser chemin. Perdez les trois à la fois — et le chameau — et contemplez le désespoir, perdu au milieu d’une tempête de sable.

En parcourant les étendues de Sandstorm, je repense à la section de God of War (Santa Monica Studio, 2005), ce désert des âmes perdues hélas trop peuplé, tout comme celui de Secret of Evermore (Square, 1995). Le titre de Linssen ressemble à une version épurée de ces passages, une version dans laquelle le joueur peut véritablement, définitivement, et mécaniquement se perdre grâce — ou à cause — de ces actions. Et lorsque la montagne surgit, signalant la fin du périple, sur un simple carton, on est tenté de penser “tout ça pour ça ?”, jusqu’à ce que le désert nous rappelle qu’il est avant tout absence de vie. En ce sens, la dernière phrase sur la page du jeu “[…] and try not to lose your way, as so many others have” sonne comme un avertissement aux joueurs(ses) d’abord, et aux individus ensuite: il n’est pas bon de se perdre trop longtemps dans les mirages, réels ou vidéoludiques.