Tail Concerto
Publié le 5 novembre 2015 dans les catégoriestextescritiquejv
Ce texte a été écrit il y a quelques années déjà. Il n'est peut-être plus représentatif de ce que je pense ou de ce que j'écris aujourd'hui, mais je le laisse publié à titre d'archive.
Dès sa sortie en 1998, Tail Concerto ne dépassait déjà pas la barrière du jeu agréable mais sans grande ambition, et ce malgré des critiques majoritairement positives à son égard. Les ventes ne décollèrent jamais vraiment, et l’oeuvre fut rangée dans le carton des titres pas désagréables pour un sou mais pas transcendant pour autant. En 2015, la situation n’a pas changé, et tout porte à croire qu’elle ne changera plus vraiment. Le regain d’amour pour les jeux d’antan, qui anime désormais de nombreux ludophiles nostalgiques et/ou curieux, a oublié de frapper à la porte du titre de CyberConnect pour lui donner sa part du gâteau rétro, même si on peut évoquer très rapidement une légère remontée en surface en 2010 après la sortie de sa suite spirituelle sur Nintendo DS, Solatorobo: Red the Hunter.
Cette mise aux oubliettes s’explique facilement par des difficultés initiales au niveau de la distribution: commercialisé et promu principalement au Japon où il fera la majorité de ses ventes avec l’éditeur Bandai, celui-ci rencontrera plus de difficulté pour faire sortir Tail Concerto du territoire et toucher le public occidental, alors qu’un engouement certain s’était fait sentir chez les Américains qui avaient pu goûter en avant-première au jeu, grâce à une démo disponible dans un désormais défunt magazine de l’époque. Il faudra finalement attendre de nombreuses négociations plus tard et qu’Atlus décide de s’en charger bon gré mal gré pour voir le titre paraître aux Etats-Unis. En Europe, la question fut réglée rapidement, puisque le jeu ne sortit jamais, à part en France; il en ressortira une exclusivité PAL d’autant plus précieuse que le jeu gardera les voix en japonais et la chanson d’ouverture (remplacée par une nouvelle piste instrumentale outre-Atlantique), faisant ainsi un pied de nez à la version NTSC entièrement doublée. Une France bien gâtée donc, grâce à son affinité pour la culture nippone orientée manga et anime, mais qui ne suffira pas à elle seule à contrebalancer les pauvres ventes aux Etats-Unis.
Car à ce handicap de distribution incomplète et fastidieuse vient s’ajouter la qualité même du jeu, expliquant ainsi sa faible popularité. En effectuant quelques recherches, on découvre que Tail Concerto est à l’origine une proposition de CyberConnect de produire pour la Playstation un jeu à l’effigie de Super Mario 64 et autre Nights into Dreams, sortis respectivement sur Nintendo 64 et Saturn en 1996. Face aux succès de ces jeux, la barre était haute, et Tail Concerto a relevé le défi honorablement, sans pour autant se hisser au niveau des deux titres précédents.
Introduisant donc le monde d’îles flottantes de Prairie, peuplé de chats et de chiens anthropomorphes, le titre a tout du premier jeu d’aventure et de plateforme pour jeunes joueurs avides de découvertes et d’émerveillement. Les séquences en animation qui jalonnent l’histoire y sont pour beaucoup et renforce le sentiment de pénétrer dans un univers singulier, mélange entre du steampunk, des animaux qui parlent, des civilisations disparues et un mystère autour d’un dieu géant d’acier. A travers Waffle, policier homme-chien et personnage plein de vitalité, on explore le monde d’îles en îles, sur les traces des Chats Noirs, un gang qui commet des actes de terrorisme pour exprimer leur mécontentement, les félidés étant l’espèce minoritaire dans Prairie. S’ajoutant à cela également, une révélation quant aux liens qui unit notre héros et la chef du gang, ce qui a pour effet d’entretenir la curiosité quant aux tenants et aboutissants de son implication avec les mignons chatons terroristes.
Dans Tail Concerto, il est ainsi question d’amitié, de tolérance et de s’apprécier les uns les autres, malgré mais surtout grâce à nos différences. Le message, dilué sous une couche épaisse d’aventures dans le ciel, reste ténu et fera à peine son apparition au travers de quelques rares dialogues qui explorent le supposé conflit entre chiens et chats. Mais on peut apercevoir le propos et la positivité que cherche à transmettre le jeu dans ses mécaniques et son ambiance; cela passe par notre robot-armure, compagnon de route qui nous sert d’exosquelette, et comment celui-ci tire des bulles inoffensives pour capturer les chatons, avant de les envoyer au QG où ils seront servis avec du bon lait — on a connu pire comme traitement en cellule; ou bien encore par les boss qui sont personnalisés jusqu’au bout pour ressembler à des chats. D’un côté, étant donné qu’il s’agit du gang des Chats Noirs, on comprend l’apparence et on apprécie l’effort de customisation; de l’autre, on parle tout de même de tirer des bulles sur un tank customisé avec des grands yeux en fente et des vibrisses. Forcément, il est difficile de prendre tout ça avec beaucoup de sérieux.
Tout positif et mignon qu’il est, et ce en partie grâce au travail de Nobuteru Yūki (Les Chroniques de la guerre de Lodoss et Chrono Cross entre autres) sur le character design, Tail Concerto nous embarque dans une histoire courte, bien trop courte, et surtout un sentiment d’aller trop vite. On se dit qu’on a à peine effleuré la surface du monde qu’il est déjà l’heure d’affronter le boss final. C’est d’ailleurs un sentiment partagé par les développeurs puisqu’ils continueront de s’accrocher au monde de Prairie des années durant, à l’affût de la première opportunité pour revenir dans cet univers chat-oyant et l’étendre, l’approfondir, opportunité qui leur sera donnée dans Solatorobo: Red the Hunter en 2010 (auquel je n’ai jamais joué, précisons-le). Il y a une certaine frustration contenue dans le titre, alors qu’on met le pied sur une nouvelle île qui ne servira malheureusement qu’une seule fois, deux si on a de la chance. Il faut dire que l’échelle du jeu est loin de celle de Super Mario 64. Le sentiment de liberté est bien là, on ne peut le nier, mais l’exploration se fait moindre. Chaque environnement montré en cache un autre derrière qu’on suppose beaucoup plus grand, beaucoup plus riche, comme par exemple dans la ville de Resaca dont on ne verra que le port, la grand-place et une rue, ou bien alors le village natal de Waffle qui restera irrémédiablement hors de portée derrière des murs invisibles.
Pour autant, il est difficile de faire la fine bouche face à la candeur inhérente du titre. La 3D balbutiante mais néanmoins solide modélise des îles toutes plus originales les unes que les autres. Ici on croise la mâchoire du dieu géant d’acier enfoui dans les profondeurs d’une mine, une rencontre pour le moins mystérieuse; là c’est carrément son épée qui traverse l’île flottante de part en part, servant de structure pour solidifier la terre autour. Au fil d’environnements variés, le monde de Prairie se dévoile sous nos yeux et alimente notre désir d’en voir plus.
C’est peut-être finalement le principal défaut de Tail Concerto, et ce qui l’empêchera d’être mémorable sur le long terme: le jeu semble être lui-même un prologue à quelque chose de plus grand, plus ambitieux, mais il n’en sera rien. Ce sera simplement une oeuvre candide, charmante, réjouissante et chargé de bons sentiments, quelque chose à vivre maintenant, quand il en est encore temps. On n’écrira pas des pages sur cette oeuvre, mais qui sait, quelqu’un quelque part, en tirera peut-être une nouvelle leçon et quelques heures de relaxation, au milieu des chatons et des bulles. C’est aussi ça, un jeu.